Estelle Membre V.I.P.
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Date: 16/03/2005 07:44
A priori, c'est toute l'administration de l'empire colonial qui pose problème... Bon, alors reprenons tout depuis le début !
Pour ce qui est des organes centraux de l'administration, les affaires d'Amérique étaient suivies par le Conseil des Indes (Consejo Real y Supremo de las Indias), créé dans les années 1520; Ses fonctions étaient de préparer, par la rédaction d'avis, le travail décisionnel du roi ; gérer l'administration des colonies et servir de tribunal d'appel pour les tribunaux américains (en dernière instance). A terme, ce conseil fut divisé en 3 chambres : 1 chargée de la vice-royauté du Mexique, l'autre de la vice-royauté du Pérou et la dernière jouant le rôle de cour suprême. Certaines "juntas" furent également créées au sein du conseil au gré des besoins. Par exemple, vers la fin du XVIème siècle (désolée, je ne me souviens plus des dates exactes) fut créée la "Junta de Guerra de Indias" et qui était chargée d'étudier les modalités de défense de l'empire.
Autre organe central : la "casa de contratacion" qui siégeait à Séville et dont les divers départements couvraient tous les aspects de l'activité économique avec l'empire.
Sur place, et comme cela fut le cas dans les territoires non castillans de la couronne espagnole (Catalogne, Naples...), l'empire fut subdivisé en vice-royautés. Il n'y en eut d'abord que 2 : celle de Nouvelle-Espagne et celle du Pérou. Mais au XVIIIème siècle fut crée celle de Nouvelle-Grenade, puis celle du Rio de la Plata. A leur tête se trouvait un vice-roi, en général membre de la haute noblesse et qui représentait la personne même du roi d'Espagne. Il était entouré d'une cour, et avait des attributions étendues, surtout dans les domaines militaires et administratifs. Il animait et contrôlait tout l'appareil de l'Etat colonial, avec l'aide d'organes consultatifs composés de hauts fonctionnaires comme le "Real Acuerdo" (pour toutes les affaires extraordinaires), la "Junta de Hacienda" (pour l'administration des finances) et la "Junta de guerra" (en cas de menace militaire).
Les vice-royautés étaient elles-même subdivisées en audiences ("Reales Audiencias"). Elles étaient composées de fonctionnaires en nombre assez restreint et étaient habilitées à administrer, établir la réglementation locale, appliquer les lois, rendre la justice et veiller aux rentrées fiscales. L'organisation des Audiences est très complexe, je ne vais donc pas insister sur le sujet, à moins que tu ne me demandes de plus amples précisions par la suite.
A l'échelon inférieur, les Audiences étaient subdivisées en gouvernements ("gobernaciones") qui prenaient surtout de l'importance lorsqu'il s'agissait de régions éloignées des chefs-lieux d'Audience ou d'accès difficile (comme le versant amazonien des Andes, par exemple).
Dans les zones les plus densément peuplées, l'administration était représentée, à l'échelle des contrées, par les "Corregidores", nommés soit depuis l'Espagne par le Roi lui-même, soit par les vice-rois, pour 3 ans. Ces corregidores avaient juridiction soit sur une ville peuplée d'espagnols et ses abords immédiats (= "corregidores de espanoles"), soit sur un ensemble géographique plus important rassemblant plusieurs villages indigènes (= "corregidores de indios"). Dans les deux cas, leurs fonctions étaient également complexes. Ils assuraient l'application des textes réglementaires, veillaient au paiement des impôts, géraient la police locale et faisaient fonction de juges en première instance. Ils avaient aussi un rôle très important au sein des conseils municipaux qui constiuaient un dernier relais à l'organisation administrative, à l'échelle locale.Ces municipalités étaient composées de 1 ou 2 "alcaldes" et de diverses personnes chargées de fonctions d'intérêt général. Ils étaient élus pour 1 an et issus de la communauté indigène. En complément, ces communautés villageoises avaient conservé à leur tête des caciques qui collaborèrent également, en général, avec l'administration espagnole qui les chargea, notamment, d'organiser le recrutement des travailleurs de leur village pour les périodes de corvée dans les entreprises espagnoles ("haciendas"), ateliers de tissage et surtout mines.
L'un des pilliers de toute cette organisation administrative était la fiscalité qui était gérée à toutes les échelles et qui servait à tous les organismes administratifs. Je ne vais pas entrer dans les détails car le sujet est franchement rasoir, mais pour répondre à l'une de tes questions : "las tasas" n'était autre qu'un des impôts municipaux, au même titre que les "sisas" ou les "derramas". Ces impôts servaient à alimenter le fonctionnement de la municipalité, mais, pour ce qui est de "las tazas" et de "las sisas", selon leur montant ou leur nature, ils servaient aussi à réguler la vie économique locale en donnant un coup de fouet ou en décourageant certaines activités économiques ou productives.
Voilà pour ce qui est du découpage officiel et de l'institution coloniale. Mais à côté de ça, un problème s'est posé à la couronne espagnole dès les débuts des conquêtes : comment, d'une part, récompenser les conquérants et normaliser la vie économique des terres nouvelles, et, d'autre part, veiller à ses propres intérêts, faire respecter le principe d'une conquête faite au nom du roi (ce qui excluait le système de seigneureries et de fiefs) ?
Le principe de l'encomienda, système mis en place pour répondre à cette interrogation, est en grande partie hérité des pratiques de la Reconquête espagnole. Il consistait à recommander ("encomendar", en espagnol) un certain nombre d'Indiens aux Espagnols qui s'étaient particulièrement signalés lors de la Conquête. L'encomienda consistait donc à transférer à un particulier, les devoirs de protection, d'instruction et d'évangélisation qui incombaient normalement au souverain. L'encomendero devait donc subvenir aux besoins d'un curé, mais aussi s'installer à demeure et avoir toujours prêt un cheval et des armes pour assurer la défense de la région soumise à sa protection. En échange de ces obligations, il pouvait exiger de ses Indiens le paiement d'un tribut en nature ou en métal précieux et un certain nombre de corvées. Ainsi, les grands chefs de guerre, les Cortès, les Pizarro et autres reçurent en recommandation plusieurs millers d'indiens. En principe, très rapidement et en raison d'abus notoires, les corvées furent abolies et l'encomendero dut se contenter d'un tribut dont le montant était fixé par les autorités et payé en monnaie métallique ou en produits locaux. Mais en réalité, les corvées mirent très longtemps à disparaître, d'autant que lorsque les indiens ne pouvaient pas payer leur tribut en argent, ils préféraient souvent le faire par des corvées.
Le revenu des encomiendas était variable, selon le nombre d'indiens attribué, leur degré de soumission... Dans les régions pauvres et faiblement peuplées, les encomiendas ne signifiaient presque rien d'un point de vue économique ; elles servaient surtout, à ceux qui les détenaient, à revendiquer leur appartenance à une sorte d'aristocratie de la conquête. Ce système d'encomiendas entraîna l'émergence d'une sorte de patriciat d'origine militaire, vers le milieu du XVIème siècle. Les plus riches des encomenderos vécurent en effet entourés d'une maisonnée abondante, avec majordomes, écuyers, serviteurs... L'encomienda ne donnait légalement aucun droit sur les terres des indiens recommandés. Mais dans la pratique, par des moyens détournés, les encomenderos parvinrent à se rendre maîtres d'une partie des terres de leurs indiens et en développant des industries, des exploitations agricoles, en faisant commerce de leurs productions, en créant des alliances avec d'autres encomenderos (par mariages, notamment) etc. nombre d'encomenderos parvinrent à s'enrichir considérablement. Cela explique leur grand mécontentement lorsque vinrent les dispositions des Lois Nouvelles prises sous l'influence de Las Casas. Pancho en a largement parlé, je ne reviendrait pas dessus. A partir de là, toutes les deux générations, les encomenderos durent faire un dossier afin que l'encomienda familiale leur soit réattribuée (ce qui fut généralement le cas).
Mais si la jouissance d'une encomienda continua d'assurer une certaine reconnaissance sociale, les familles espagnoles qui ne surent diversifier leurs revenus connurent, dès la fin du XVIème siècle, une baisse très nette de leur statut. Le nombre d'indiens ayant partout fortement diminué, les rentes diminuèrent logiquement dans les mêmes proportions. Beaucoup d'encomiendas disparurent dès le XVIIème siècle, les plus fortunés étant attachés à leur encomienda bien plus pour sa signification sociale et historique que pour ses revenus réels. Au XVIIIème siècle, avec l'usure du temps, l'encomienda finit par ne plus rien signifier. C'est pourquoi, une des premières mesures américaines de la dynastie des Bourbons fut de procéder à la suppression progressive des encomiendas. Chaque encomienda devait disparaître à la mort de la personne qui en jouissait alors. Cette mesure ne souleva presque aucune contestation.
Voili-voilou, j'espère que tout cela te permettra d'y voir plus clair dans l'organisation coloniale.
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Estelle
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